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Izazen
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Renouer avec le sauvage
« le: 21 Septembre 2011 à 11:33:22 »



Renouer avec le sauvage



 

Créée aux Etats-Unis il y a une trentaine d'années en même temps qu'émergeait une nouvelle conscience verte, l'écopsychologie s'intéresse aux relations que nous entretenons avec la nature. Entre notre part animale et notre spécificité humaine, entre les excès de la prédation et ceux de la décroissance, elle nous aide à trouver un nouvel équilibre. Marie Romanens, psychanalyste et psychothérapeute, nous explique pourquoi.

Qu'est-ce qui vous a conduite de la psychanalyse à ce que vous appelez "l'écologie intérieure"?

◄M. Romanens:

Ma démarche est toujours celle de la psychanalyse, je me mets à l'écoute de ce qui émerge de l'inconscient de mes patients. Mais j'intègre dans ma pratique les apports de l'écopsychologie systémique. Celle-ci a mis en évidence les liens d'interdépendance qui nous unissent à notre milieu familial et social. L'émergence de la conscience écologique et le malaise qui affecte notre civilisation montrent aujourd'hui l'importance de prendre en compte également notre relation aux milieux naturels. Dans les propos de mes patients, je suis particulièrement attentive à la manière dont la nature est évoquée pour exprimer un fantasme, un désir ou une angoisse. Certains font d'abord référence à un animal ou à un paysage, dans la réalité ou dans un rêve, avant de pouvoir parler d'un événement maquant de leur vie. La rencontre avec une renarde blessée a ainsi permis à Nadine (son cas est rapporté dans Pour une écologie intérieure, renouer avec le sauvage,* ndlr) de revisiter le souvenir de l'accident qui avait mutilé sa mère. Notre lien à la nature, réelle ou symbolique, joue un rôle essentiel sur le chemin de notre libération intérieure. Je suis peut-être d'autant plus sensible à ce lien que, au cours de ma propre enfance, dans un contexte familial difficile, la nature a joué un rôle positif majeur.

Nous avons oublié notre enracinement à la terre et cette séparation est source de souffrance. Un chercheur australien a remarqué que, dans une vallée particulièrement enlaidie et abimée par les activités humaines, les gens allaient mal, ils étaient tristes, anxieux, fatigués, alors même que leur vie personnelle se déroulait plutôt bien. Outre la satisfaction de ses besoins primaires, l'humain a besoin de beauté, il s'en nourrit, même sans s'en rendre compte.

Ces dégradations nous affectent tous, même ceux qui sont dans le déni ou dans l'absence de conscience. Car nous faisons partie de la nature, nous la constituons comme les végétaux, les minéraux et les animaux. On le sait, les souffrances non reconnues sont à l'origine de maux bien réels, physiques, mais aussi psychiques: anxiété, addiction, dépression...

La pollution extérieure actuelle correspond à notre pollution intérieure. Cela signifie-t-il qu'avant de nettoyer et de soigner l'extérieur, il faudrait commencer par l'intérieur? En réalité, il faudrait travailler sur les 2 fronts. Nous nous trouvons à un carrefour:

- soit nous prenons soin du lien avec les autres et avec la nature,

- soit nous continuons à vivre en individualistes et en matérialistes forcenés, et nous fonçons droit dans le mur.

Par peur de la puissance de la nature et par avidité, nous avons choisi de la dominer plutôt que de coopérer. Nous en faisons aujourd'hui les frais: pollution, accidents climatiques, déforestations, crises alimentaires, maladies psychiques et physiques... Au lieu de consacrer notre intelligence à la seule recherche de solutions techniques pour polluer moins, ne serait-il pas profitable de réfléchir également au lien d'interdépendance qui nous unit à la chaîne du vivant? Là se trouve, me semble-t-il, la vraie nécessité: cesser de considérer la nature comme un adversaire pour redevenir partenaires, vivre une "reliance" + grande avec elle.

Se séparer de la nature, n'est-ce pas aussi s'humaniser, se civiliser, évoluer?

M.R.:

Il ne s'agit pas de faire l'apologie de la régression ou de l'archaïque, mais de prendre conscience qu'en Occident nous avons laissé s'installer un clivage en ne développant que le versant individuel de l'humain, le moi, au détriment du lien social et du lien avec la nature. Notre être n'est pas séparé du monde par une frontière imperméable, nous habitons tous la même maison, et aujourd'hui, "la maison brûle"! L'écophilosophe américaine Joanna Macy► a été l'une des premières à déclarer qu'il fallait en bâtir une autre, en utilisant de nouveaux plans. Mais ce changement auquel nous sommes tous conviés nécessite un élargissement de notre conscience, individuelle et collective. Et c'est à cela que l'écologie profonde nous invite, à une écoute attentive de soi -et de l'autre-, à un questionnement en profondeur sur nos actes: ma façon d'être en relation, de me nourrir, de consommer, de pratiquer des loisirs va-t-elle dans le sens du respect du vivant en moi et autour de moi? Cela passe par des choses très banales, comme trier ses déchets, mais aussi faire le tri en soi-même. Ou décider de passer + de temps dans la nature, au sein d'une association ou avec ses amis, que sur Internet ou à faire du shopping. Additionnés, ces actes individuels, posés en conscience et non par contrainte, finissent par dessiner les plans d'une nouvelle maison.

Pour opérer un changement dans les consciences et les comportements, il faut "renouer avec le sauvage". Nous sommes animés par des courants très archaïques et par des courants très élevés, les 2 nous constituent. Nous ne pouvons nier notre part animale, notre cerveau reptilien. Tout comme nous ne pouvons nier que nous sommes doués d'une conscience existentielle, morale, spirituelle. Tout l'enjeu est de pouvoir accueillir et faire dialoguer en nous les différentes tendances. Et sans que le conflit se termine en guerre!

Cinq pistes peuvent nous aider à retrouver un équilibre:

- questionner notre consommation, - comme on vient de le voir.

- mais aussi refuser la logique de division -en tissant au quotidien les liens + humains avec ses proches, avec les étrangers, avec la nature.

- reconnaître la nature comme le miroir de nos âmes -s'y immerger régulièrement pour se sentir pleinement relié à elle et responsable de son devenir.

- découvrir le plaisir d'être -investir les domaines qui sollicitent notre sensibilité, notre créativité, notre singularité plutôt que notre portefeuille ou notre passivité.

- et, enfin, mutualiser le + possible nos ressources et nos talents, en famille, au travail, avec nos amis ou au sein d'associations.

Ces pistes ne sont pas des solutions magiques, mais des invitations à vivre une vie + humaine, + responsable et joyeuse. Elles sont aussi le moyen de donner à notre existence le sens qui lui fait parfois défaut.

 

Propos recueillis par Flavia Mazelin Salvi

 
par Marie Romanens et Patrick Guérin, De la séparation à la réconciliation: tel pourrait être le résumé de cet essai qui explore avec finesse, rigueur et profondeur notre lien chaotique avec la nature. Et nous montre comment il est possible de restaurer ce lien, sans négligier nos besoins individuels et collectifs, Payot, 2010




Source : http://caplibre.over-blog.com/article-notre-par-animale-83827775.html
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