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Izazen  |  Au jardin des pensées et philosophies  |  Textes à méditer (Modérateur: Izazen)  |  Fil de discussion: Observation 0 Membres et 1 Invité sur ce fil de discussion. « sujet précédent | | sujet suivant »
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Izazen
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Observation
« le: 01 Novembre 2008 à 20:28:56 »


"Dernier Journal" De J. Krishnamurti

"Près de la rivière, il y a un arbre que nous avons regardé jour après jour, pendant plusieurs semaines, au lever du soleil. Quand l'astre s'élève lentement au-dessus de l'horizon, au-dessus des bois, l'arbre devient brusquement tout doré. Toutes ses feuilles rayonnent de vie, et vous voyez, au fil des heures, une qualité extraordinaire émaner de lui (son nom importe peu, ce qui compte, c'est ce bel arbre); elle semble s'étendre par tout le pays, au-delà de la rivière. Le soleil monte encore un peu, et les feuilles se mettent à frissonner, à danser. Avant l'aube, l'arbre est sombre, silencieux et distant, empreint de dignité. Au point du jour, les feuilles illuminées et dansantes, il vous donne le sentiment de percevoir une grande beauté. Vers midi, son ombre est profonde, et vous pouvez vous y asseoir à l'abri du soleil. Alors s'établit un rapport profond, immuable et sécurisant, avec une liberté que seuls les arbres connaissent. Vers le soir, quand le soleil couchant illumine l'ouest, l'arbre peu à peu s'assombrit, se referme sur lui-même. Le ciel est rouge, jaune, vert, mais l'arbre reste silencieux, retranché, il se repose pour la nuit.

Si vous établissez un rapport avec lui, vous êtes en rapport avec l'humanité. Vous devenez responsable de cet arbre et de tous les arbres du monde. Mais si vous n'êtes pas en relation avec les êtres vivants de la terre, vous risquez de perdre votre rapport à l'humanité, aux êtres humains. Nous n'observons jamais profondément la qualité d'un arbre; nous ne le touchons jamais pour sentir sa solidité, la rugosité de son écorce, pour écouter le bruit qui lui est propre. Non pas le bruit du vent dans les feuilles, ni la brise du matin qui les fait bruisser, mais un son propre, le son du tronc, et le son silencieux des racines. il faut être extrêmement sensible pour entendre ce son. Ce n'est pas le bruit du monde, du bavardage de la pensée, ni celui des querelles humaines et des guerres, mais le son propre de l'univers. Il est curieux que nous ayons si peu de rapports avec la nature, avec les insectes, la grenouille bondissante, et le hibou qui hulule d'une colline à l'autre, appelant un compagnon. Il semble que nous n'éprouvions pas de sentiment à l'égard de tous les êtres vivants de la terre.

Si nous pouvions établir une relation profonde et durable avec la nature, nous ne tuerions jamais d'animaux pour nous nourrir, nous ne ferions jamais de mal aux singes, aux chiens ou aux cochons d'Inde en pratiquant la vivisection dans notre seul intérêt. Nous trouverions d'autres moyens de soigner nos blessures et de guérir nos maladies. Mais la guérison de l'esprit est tout autre chose. Cette guérison s'opère peu à peu au contact de la nature, de l'orange sur sa branche, du brin d'herbe qui se fraie un passage dans le ciment, et des collines couvertes, cachées par les nuages. Ce n'est pas le produit d'une imagination sentimentale ou romantique, c'est la réalité de celui qui est en relation avec tous les êtres vivants et animés de la terre. L'homme a massacré des millions de baleines et il en tue encore. il y a d'autres moyens d'obtenir tout ce pourquoi il les massacre. Mais apparemment il adore tuer le cerf fuyant, la merveilleuse gazelle et le grand éléphant. Nous aimons aussi nous tuer les uns les autres. Depuis le début de leur histoire sur la terre, les êtres humains n'ont jamais cessé de s'entre-tuer.

Si nous parvenions, et nous le devons, à établir une relation immuable avec la nature, avec les arbres, les buissons, les fleurs, l'herbe et les nuages - alors nous ne tuerions jamais un être humain pour quelque raison que ce soit. La tuerie organisée, c'est la guerre. Bien que nous manifestions contre des formes de guerre particulières, nucléaire ou autre, nous n'avons jamais manifesté contre la guerre. Nous n'avons jamais dit que tuer un autre être humain est le plus grand péché de la terre. (…) Plusieurs problèmes sous-tendent celui-ci: premièrement, la question de l'immortalité. L'immortalité existe-t-elle ? Ce qui n'est pas mortel ne connaît pas la mort. L'immortel demeure, au-delà du temps, complètement inconscient d'une telle fin. Le moi est-il immortel, ou connaît-il une fin ? Le moi ne peut devenir immortel. Le je et tous ses attributs se constituent dans le temps, qui est la pensée ; jamais il ne sera immortel. On peut bien inventer une idée de l'immortalité, une image, un dieu, une représentation, et y tenir pour y trouver du réconfort, mais là n'est pas l'immortalité.

Deuxième question, un peu plus complexe - est-il possible de vivre avec la mort ? Non pas avec morbidité, ni de façon auto destructrice. Pourquoi avons-nous séparé la vie de la mort ? La mort fait partie de notre existence. Le vivant et le mourant sont inséparables et se suivent inexorablement. Pourquoi séparer l'envie, la colère, la tristesse, la solitude et le plaisir que nous éprouvons, de ce qu'on appelle la mort ? Pourquoi les gardons-nous à des miles de distance, des années-lumière les uns des autres ? Nous acceptons la mort d'un vieil homme, qui est naturelle. Mais si quelqu'un de jeune meurt dans un accident, ou atteint d'une maladie, nous nous révoltons contre la mort. Nous disons que c'est injuste, que cela ne devrait pas être. Voilà ce qu'il nous faut examiner, non pas comme un problème, mais en en cherchant et en observant les implications, et sans se faire d'illusions. Se pose aussi la question du temps - le temps qu'il faut pour vivre, pour apprendre, pour amasser, pour agir, pour faire quelque chose, et puis la fin du temps connu - le temps qui sépare le vivre du finir. Dès qu'il y a séparation, division, entre "ici" et "là", entre ce qui est" et "ce qui devrait être", cela implique le temps. il me semble significatif que nous maintenions la division entre cette prétendue mort et ce que nous appelons la vie. C'est à mes yeux un facteur décisif. La peur surgit lorsqu'il y a une telle séparation. On fait alors un effort pour surmonter cette peur, en recherchant le confort, la satisfaction, un sentiment de continuité. (Il s'agit ici bien sûr du domaine psychologique et non pas de la réalité physique ou technique.) Le moi s'est constitué dans le temps, et il est maintenu par la pensée. Si seulement nous pouvions nous rendre compte de ce que signifient, sur le plan psychologique, le temps et la division, la séparation des hommes, des races, des cultures, opposés les uns aux autres. Cette séparation provient aussi de la pensée et du temps, comme la division entre vie et mort. Vivre avec la mort dans la vie impliquerait un profond changement dans notre conception de l'existence. Mettre fin à l'attachement sans limite, sans motif, et sans faire intervenir le temps, c'est mourir alors qu'on est encore en vie.

L'amour ne connaît pas le temps. L'amour n'appartient ni à vous ni à moi, il n'est jamais personnel; on peut aimer une personne, mais lorsqu'on limite ce sentiment à un seul être, il cesse d'être de l'amour. Dans l'amour véritable, il n'y a pas de place pour les divisions du temps, de la pensée, et de toutes les complexités de la vie, ni pour toutes les misères, les confusions, l'incertitude, les jalousies et les angoisses humaines. Il faut faire très attention au temps et à la pensée. Cela ne veut pas dire que nous devons vivre uniquement dans le présent, ce serait une absurdité. Le temps est le passé, modifié, qui continue dans le futur. C'est un continuum auquel la pensée s'accroche. Elle s'attache ainsi à quelque chose qu'elle a créé de toutes pièces. L'écureuil est revenu. Il s'est absenté quelques heures et se retrouve sur la branche, grignotant quelque chose. Il observe, écoute, étonnamment alerte, vivant, conscient, tremblant d'excitation. Il va et vient, sans vous dire où il va ni quand il reviendra. Et le jour devient plus chaud, la tourterelle et les oiseaux sont partis. Seuls quelques pigeons volent en groupes d'un endroit à l'autre. On entend le froissement de leurs ailes qui battent l'air. Il y avait ici un renard, mais nous ne l'avons pas vu depuis longtemps. Il est probablement parti pour toujours, l'endroit est trop habité. On trouve aussi beaucoup de rongeurs, mais les gens sont dangereux et celui-ci est un petit écureuil timide, aussi capricieux que l'hirondelle.

Alors que la continuité n'existe nulle part, sauf dans la mémoire, existe-t-il dans l'être humain, dans son cerveau, un endroit, une zone, petite ou grande, d'où la mémoire soit absente, qu'elle n'ait jamais effleurée ? Il vaut la peine d'observer tout cela, d'avancer sainement, rationnellement, de voir la complexité et les replis de la mémoire ainsi que sa continuité qui est, somme toute, le savoir. Le savoir est toujours dans le passé, il est le passé. Le passé est une immense mémoire accumulée, la tradition. Et quand on a examiné tout cela avec soin, sainement, la question inévitable est celle-ci : existe-t-il une zone dans le cerveau, dans la profondeur de ses replis, ou dans la nature et la structure intérieure de l'homme et non dans ses activités extérieures, qui ne soit pas le résultat de la mémoire et du mouvement de la continuité ? Les collines et les arbres, les prairies et les bois dureront aussi longtemps que la terre, à moins que l'homme ne les détruise par cruauté et désespoir. Le ruisseau, la source d'où il vient, ont une continuité, mais nous ne nous demandons jamais si les collines et l'au-delà des collines ont leur propre continuité. S'il n'y a pas de continuité, qu'y a-t-il ? Il n'y a rien. Nous avons peur de n'être rien. Rien signifie q u aucun objet n'existe. Aucun objet assemblé par la pensée, rien qui puisse être reconstitué par la mémoire, les souvenirs, rien qui puisse se décrire par les mots puis se mesurer. Il se trouve certainement, sûrement, un domaine dans lequel le passé ne projette pas son ombre, où le temps, le passé, le futur ou le présent ne signifient rien. Nous avons toujours essayé de mesurer par des mots ce que nous ne connaissons pas. Nous essayons de comprendre ce que nous ignorons en l'affublant de mots, le transformant ainsi en un bruit continu. Et ainsi encombrons-nous notre cerveau, déjà plein d'événements passés, d'expériences et de savoir. Nous pensons que le savoir est d'une grande importance psychologique, mais cela est faux. Il est impossible de croître par le savoir ; il faut que le savoir cesse pour que le neuf puisse exister. Neuf est un mot qui qualifie ce qui n'a jamais été auparavant. Et ce domaine ne peut être compris ou saisi par des mots ou des symboles: il est au-delà de tous les souvenirs.


Mardi 19 avril 1983


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Re : Observation
« Répondre #1 le: 04 Novembre 2008 à 18:23:02 »




Pour observer vraiment, il faut être libre de regarder





     J'aimerais répéter que nous n'essayons pas de vous convaincre de quoi que ce soit - cela doit être clairement compris. Nous n'essayons pas de vous persuader d'accepter un certain point de vue. Nous n'essayons pas de vous influencer en quoi que ce soit, ni de faire de la propagande. Nous ne parlons d'aucune personnalité, ni de qui a tort ou raison, mais nous essayons plutôt de réfléchir sérieusement, d'observer, ensemble, ce qu'est le monde et ce que nous sommes, ce que nous avons fait du monde et de nous-mêmes. Nous essayons d'examiner ensemble, à la fois l'homme intérieur et extérieur.

     Pour observer clairement, il faut être libre de regarder, c'est évident. Si l'on s'accroche à ses expériences, à ses jugements et à ses préjugés personnels, alors il n'est pas possible de penser clairement. La crise mondiale qui est là devant nous demande, exige que nous pensions ensemble, afin de résoudre ensemble le problème de l'homme sans se référer à une personnalité, un philosophe, un gourou particulier. Nous essayons d'observer ensemble. Il est important de se souvenir constamment que l'orateur ne fait qu'indiquer quelque chose que nous examinons ensemble. Ce n'est pas à sens unique mais c'est plutôt une coopération pour examiner, pour explorer et ainsi agir ensemble.

     Il est très important de comprendre que notre conscience n'est pas notre conscience individuelle. Notre conscience n'est pas seulement celle d'un groupe, d'une nationalité, etc. en particulier, mais c'est aussi tout le tourment, le conflit, la détresse, la confusion et la peine de l'homme. Nous examinons ensemble cette conscience humaine, qui est notre conscience, pas la vôtre ou la mienne, mais la nôtre.

     La qualité de l'intelligence est un des éléments requis pour cet examen. L'intelligence, c'est l'aptitude à discerner, comprendre, distinguer ; c'est aussi l'aptitude à observer, rassembler tout ce que nous avons accumulé et à agir en fonction de cela. Cette accumulation, ce discernement, cette observation peuvent être pleins de préjugés et l'intelligence est niée quand il y a des préjugés. Si vous suivez quelqu'un d'autre, l'intelligence est niée ; suivre quelqu'un, même s'il est estimable, fait obstacle à votre propre perception et à votre propre observation - vous ne faites que suivre quelqu'un qui va vous dire que faire, que penser. Si vous le faites, l'intelligence n'existe pas car, dans tout cela, il n'y a pas d'observation et par conséquent pas d'intelligence. L'intelligence demande que l'on doute, que l'on s'interroge, que l'on ne soit pas influencé par les autres, par leur enthousiasme, par leur énergie. L'intelligence exige une observation impersonnelle. L'intelligence n'est pas seulement la capacité de comprendre ce qui est expliqué rationnellement et verbalement, mais elle implique aussi que nous rassemblions toutes les informations possibles tout en sachant que ces informations ne seront jamais complètes sur qui que ce soit ou quoi que ce soit. Là où il y a intelligence, il y a hésitation, observation et la clarté d'une pensée impersonnelle et rationnelle.




J. Krishnamurti  La Nature de la Pensée, p. 57-58.


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